Convention de forfaits jours : nullité en cas de suivi insuffisant
Dans le cadre de la gestion du temps de travail, la convention de forfait jours permet de fixer une organisation des heures travaillées en jours, plutôt qu’en heures, offrant ainsi davantage de flexibilité aux cadres et salariés autonomes. Cependant, cette organisation repose sur des obligations strictes pour l’employeur, notamment en termes de suivi de la charge de travail et de respect du droit à la santé et au repos du salarié. Un suivi insuffisant peut entraîner l’annulation de la convention de forfait jours, comme le rappelle un récent arrêt de la Cour de cassation. Cet article examine les conditions de validité de la convention de forfait jours, les responsabilités de l’employeur et les conséquences d’un manquement aux garanties de suivi.
Qu’est-ce qu’une convention de forfait jours ?
La convention de forfait jours permet à un employeur de calculer le temps de travail d’un salarié non pas en heures, mais en jours travaillés sur l’année. Réservée principalement aux cadres et aux salariés autonomes, cette convention assure une certaine flexibilité dans l’organisation du temps de travail, répondant aux besoins des postes exigeant une plus grande autonomie. Cependant, cette liberté est encadrée par des règles strictes visant à protéger la santé et la sécurité des salariés, garanties que doit impérativement prévoir un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche.
Les obligations de l’employeur en matière de suivi
La mise en place d’une convention de forfait jours impose à l’employeur de veiller scrupuleusement à ce que la charge de travail soit adaptée à un emploi du temps raisonnable, respectant l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle du salarié. En effet, cette forme d’organisation du travail, qui ne repose pas sur le décompte des heures mais sur le nombre de jours travaillés dans l’année, peut entraîner des risques accrus de surcharge et d’épuisement si elle n’est pas rigoureusement encadrée.
Suivi de la charge de travail
Lorsqu’un employeur met en place une convention de forfait jours, il est tenu de s’assurer que la charge de travail est adaptée aux capacités du salarié et qu’elle reste raisonnable. La charge de travail doit être régulièrement contrôlée pour éviter tout risque de surcharge, et l’amplitude des jours travaillés doit permettre une répartition équilibrée tout au long de l’année. L’employeur doit également garantir des temps de repos suffisants, respectant le droit à la déconnexion et évitant ainsi tout risque de fatigue excessive. Pour cela, des points de suivi réguliers et des bilans annuels sont souvent exigés par les accords collectifs.
Garanties liées à l'accord collectif
L’accord collectif servant de cadre à la convention de forfait jours doit inclure des garanties concrètes pour le salarié, en termes de suivi et de prévention des risques liés à une surcharge de travail. Cet accord doit spécifier les moyens de suivi mis en place pour surveiller la charge de travail, les règles de repos et les alertes en cas de dépassement des amplitudes de travail raisonnables. La loi impose ainsi des exigences précises quant au contenu de cet accord pour éviter que le salarié ne soit exposé à un rythme de travail pouvant nuire à sa santé.
L’insuffisance des garanties : Un cas concret
Un salarié a demandé la nullité de sa convention de forfait jours, invoquant des garanties insuffisantes pour sa santé et sécurité. La Cour d’appel a initialement rejeté sa demande, mais la Cour de cassation a cassé cet arrêt, estimant que l’accord collectif n’instituait pas un suivi effectif et régulier de la charge de travail.
La décision initiale de la Cour d’appel
Dans une affaire impliquant un salarié d’une banque, celui-ci a saisi le Conseil de prud’hommes en demandant la nullité de sa convention de forfait jours, arguant que les garanties liées à sa santé et à sa sécurité étaient insuffisantes. La Cour d’appel de Poitiers a rejeté sa demande, estimant que les dispositions de la convention de forfaits jours de l’entreprise offraient une protection adéquate. Elle soulignait notamment que :
- La durée quotidienne de travail restait en moyenne inférieure à la durée maximale de 10 heures pour les travailleurs en heures ;
- Un mécanisme d’alerte était prévu en cas d’amplitude journalière trop forte ;
Le salarié bénéficiait de jours de repos conséquents, avec 56 jours de congés par an, en plus des deux jours de repos hebdomadaires consécutifs.
Le revirement de la Cour de cassation
Cependant, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel, estimant que les garanties prévues dans l’accord collectif du Crédit Agricole n’étaient pas suffisantes. La Cour a précisé, dans son arrêt du 13 octobre 2021, que l’accord collectif en question n’instituait pas un suivi effectif et régulier de la charge de travail, permettant à l’employeur d’intervenir en temps utile en cas de surcharge. La Cour s’appuie ici sur des textes fondamentaux comme l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne et la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, qui rappellent que le droit à la santé et au repos sont des droits fondamentaux.
Un revirement de la Cour de cassation
L’arrêt de la Cour de cassation marque un tournant majeur dans l’interprétation de la validité des conventions de forfait jours, en soulignant que les simples garanties générales ne suffisent pas. L’accord collectif doit inclure des mesures concrètes, comme un suivi précis des amplitudes de travail et des mécanismes de vérification réguliers. En l’absence de ces mesures, la convention de forfait jours peut être annulée, l’employeur ne respectant pas pleinement son obligation de sécurité.
Cet arrêt incite désormais les entreprises à prendre des mesures plus strictes pour protéger la santé de leurs salariés en convention de forfait jours, au-delà des simples dispositions de l’accord collectif. L’employeur doit veiller non seulement à la mise en place d’un suivi, mais aussi à l’effectivité de ce suivi pour éviter des situations de surcharge.
L’importance du suivi dans les conventions de forfait jours
Le suivi dans les conventions de forfait jours est essentiel pour protéger la santé des salariés. Sans un contrôle rigoureux de la charge de travail, l’employeur s’expose à des sanctions et la convention risque d’être annulée. La loi impose donc un suivi régulier et des garanties concrètes pour prévenir les abus.
Les lacunes de l’accord collectif
L’accord collectif doit contenir des dispositions permettant un contrôle continu et effectif du respect des temps de travail et de repos. Un simple bilan annuel ou une vérification ponctuelle ne sont pas suffisants pour assurer l’équilibre de la charge de travail du salarié. La Cour de cassation a rappelé que le manque de mesures concrètes et de suivi régulier expose l’employeur à des sanctions et peut conduire à l’annulation de la convention de forfait jours.
Responsabilité de l’employeur
L’employeur porte une responsabilité directe dans le suivi des salariés en forfait jours et doit prendre toutes les précautions nécessaires pour garantir leur santé. Depuis la loi travail de 2016, il est possible pour l’employeur de mettre en place des mesures de suivi même si celles-ci ne sont pas prévues dans l’accord collectif, afin de remédier aux lacunes potentielles. Ainsi, l’employeur se doit de compenser toute insuffisance de l’accord collectif en instaurant des dispositifs de suivi adaptés aux besoins réels des salariés en forfait jours, sous peine de nullité de la convention.